Le 26 novembre, le Shift Project nous a présenté son rapport. L’analyse introduit les résultats d’un rapport consacré à l’intelligence artificielle générative et à la puissance informatique, accessible intégralement en ligne, y compris ses annexes méthodologiques détaillant les modèles, les trajectoires et l’ensemble des hypothèses utilisées.

L’étude se concentre sur les impacts du déploiement massif de l’IA générative sur le secteur des centres de données. Bien que les réseaux et terminaux aient également été analysés, le manque de données disponibles n’a pas permis une modélisation quantitative complète pour ces deux derniers volets. Le rapport explore donc en priorité les effets sur les data centers, en considérant à la fois les phases d’usage et les phases amont : fabrication des équipements informatiques, besoins en infrastructures de refroidissement, exigences énergétiques, adaptation des bâtiments.

Une distinction importante est faite par rapport aux autres études publiées ces derniers mois. L’objectif a été de proposer une vision exhaustive, intégrant non seulement l’expansion rapide de l’IA générative, mais aussi l’évolution des usages traditionnels et de la crypto-monnaie, dont la consommation énergétique – désormais significative – ne peut plus être considérée comme marginale.

Constats internationaux

Avant même l’essor de l’IA générative depuis fin 2022, la consommation électrique des centres de données était déjà en forte croissance depuis plus d’une décennie. Le taux annuel, historiquement autour de 6 %, a quasiment doublé durant les trois à quatre dernières années, essentiellement en raison de la préparation au déploiement de l’IA générative.

Malgré des gains d’efficacité dans les processeurs, les architectures et les systèmes de refroidissement, ces progrès ne suffisent plus à compenser l’explosion de la demande en puissance informatique. L’IA générative amplifie désormais cette dynamique jusqu’à changer d’échelle : dans certains scénarios, la consommation mondiale des data centers pourrait atteindre 2 500 TWh dès 2030, puis doubler d’ici 2035. Leur part dans la consommation mondiale d’électricité passerait alors de 2–2,5 % aujourd’hui à 8–10 % en 2035.

L’empreinte carbone suit une trajectoire similaire, expliquée par deux facteurs complémentaires :

L’augmentation de la consommation d’électricité progresse plus vite que la décarbonation des mix énergétiques et la fabrication des composants devient plus énergivore, tandis que les infrastructures doivent être renforcées pour supporter des densités électriques pouvant atteindre 1 MW par rack.

Dans de nombreux pays, la réponse immédiate à la hausse de consommation consiste à activer des centrales à gaz ou à charbon, accentuant ainsi l’impact environnemental du secteur.

Dynamique européenne

L’Europe se distingue par une consommation des data centers représentant 2,5 à 3 % de l’électricité totale, contre 4,5 % à 5 % aux États-Unis. Le rythme de croissance y est également plus faible : environ 7 %, contre près de 20 % outre-Atlantique.

Autre singularité : la concentration géographique. Cinq métropoles — Francfort, Londres, Amsterdam, Paris et Dublin — regroupent l’essentiel des capacités, transformant les impacts en enjeux d’abord locaux. L’exemple irlandais illustre ces risques : la part des data centers y dépasse désormais 20 % de la consommation nationale, avec une très forte pression sur le réseau autour de Dublin, conduisant à des arbitrages sur l’accès à l’électricité et même à l’abandon de projets immobiliers faute de capacité disponible.

Des signaux similaires émergent ailleurs en Europe. En Belgique, des mesures préventives ont été annoncées pour éviter la congestion du réseau haute tension, notamment via la mise en place de « couloirs de consommation » dédiés aux centres de données.

Les projections européennes indiquent une possible multiplication par trois de la consommation électrique du secteur d’ici 2035, soit environ 200 TWh supplémentaires. En l’absence de planification énergétique spécifique, cette croissance risque d’être alimentée par des sources fossiles, prolongeant la dépendance énergétique européenne et compliquant le respect des budgets carbone.

Situation française

La consommation des centres de données représente actuellement environ 2 % de l’électricité française, soit l’équivalent de 2,5 millions de foyers ou de la moitié de la production annuelle photovoltaïque du pays.

Les scénarios prospectifs montrent qu’en cas de poursuite des tendances actuelles — et si les annonces récentes en matière d’IA se matérialisent — la consommation pourrait être multipliée par quatre d’ici 2035. La part des data centers dans la consommation totale passerait alors de 2 % à environ 7,5 %.

Le principal enjeu identifié en France n’est pas uniquement climatique, mais aussi lié à la concurrence d’usage sur l’électricité. Certains secteurs en transition, dont la décarbonation repose exclusivement sur l’électrification — transport, chauffage, industrie — pourraient se retrouver en compétition avec les centres de données. Cette situation est exacerbée par l’absence de trajectoire dédiée à la filière dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), rendant difficile une planification réaliste de la production d’électricité.

Certaines régions, notamment l’Île-de-France et Marseille, commencent déjà à ressentir cette pression locale, au même titre que Dublin en Irlande. Des arbitrages sur l’usage de l’électricité et de l’eau pourraient devenir nécessaires pour éviter des blocages structurants.